A plus soif, écrire
Ecrire pour se protéger des mots
qui rendent invisible la vie
et accompagner les mots de l'ange
qui font vibrer la chair.
Ecrire c'est vivre à petits bruits d'ailes
tête fine se dressant par dessus la couvée
dans le giron des parents
à s'enquérir de quelques vers.
Ecrire c'est au bord du trapillou de la maison-mère
guetter l'arrivée de celle qui vous regardera
la mine réjouie le regard clair
une pluie de désirs frais tombant du ciel.
Ecrire c'est craquer l'allumette
pour qu'aux limites de la brûlure
le bois noir se rétracter
et tomber dans la coupelle blanche.
Ecrire c'est remonter de la fontaine
les lourds sauts d'eau
en se racontant des histoires
pour que douleur passe.
Ecrire c'est descendre au Pradou
tirer la bonne carte des philosophes
tomber sur Socrate lui tirer la barbe
et rire sous cape.
Ecrire c'est rodomonter la grande échelle
contre la paroi de l'imaginaire
à toucher la manne céleste d'un doigt mouillé
pour s'entendre dire "je viens".
Ecrire c'est fixer en bout de lance
les étoiles et le bruit du Latécoère
au son de l'angélus
un soir de rude journée.
Ecrire c'est n'importe quoi
la gorge sèche les mains dans les poches
attendre que cela passe
au gré des amours mortes.
Ecrire c'est cueillir les fruits cruels
d'un arbre éternel
que les moineaux empenaillés de poussière
laisseront en parentèle.
Ecrire c'est construire une cabane au fond du jardin
pour qu'y demeure l'enfant qui n'a pas grandi
le jeu de planches tuilées
en vue de l'orage à venir.
Ecrire c'est calquer ses pas
sur la trace des autres
afin d'être autrement autre
présent au demeurant.
Ecrire c'est définir puis finir
ce qui éternellement commence
par le chas de l'aiguille
d'un néant d'activité.
Ecrire c'est penser tout haut
la co-naissance possible
d'un co-naître à venir
en déploiement de la lucidité.
Ecrire c'est au vertige des mots
répartir sur la tige des feuilles émotionnées
la libération libertine d'une vie
en chaos de soi.
Ecrire ce peut être
comme tel ou tel personnage d'un conte
défier la mécréance
en épousant les contraires.
Ecrire c'est attendre que le froid vous gagne
assigné sur le tard
à descendre l'escalier des soumissions
jusqu'à l'humilité de l'esprit.
Ecrire c'est être le plumitif débonnaire
de la conscription
se curant le nez
devant la vulnérabilité.
Ecrire "A suivre"
"qui peut le plus peut le moins"
et passer son chemin
sans jouer de la flûte des vertèbres.
Ecrire c'est être présent
à ce qui vient
sans que la pédagogie préjuge
du bien ou mal de l'exercice.
Ecrire c'est être le loup des steppes
à étaler sa carpette
de nuit comme à l'accoutumé
d'une parole fleurie.
(œuvre de Jean-Claude Guerrero)
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